Quatre mois à suivre notre plan diét - même sans que nous ayons jamais été "affamées"- impliquent une réelle motivation, simplement parce qu'il est difficile de rompre avec les (mauvaises) habitudes, de remettre en question un mode de vie, de s'astreindre à une discipline alimentaire, de ne pas céder à ses impulsions.
Mais si la cuisine, ses placards, le frigo nous semblent parfois un peu vides de produits laitiers (de vache), de patisseries industrielles, de sucreries, de charcuterie et de viande, il faut bien reconnaître aussi que l'espace ainsi éclairci apparaît d'une certaine façon plus grand, comme si notre horizon s'était élargi. Comme si l'avenir annonce d'autres possibles. Comme si ce qui fut "ainsi" est déjà devenu "autrement" : c'est que le regard que nous portons sur nous-mêmes a changé. Le regard est ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes : tel(le)s nous nous voyons, tels nous sommes. Encore faut-il que l'objet du regard (que ce soit le notre ou celui des autres) -en l'occurence notre corps, notre image physique- renvoie un reflet valorisant ...
La cuisine s'est vidée mais l'espace autour de nous s'est agrandi. Notre conscience du monde s'est élargie. A corps plus léger, pensée plus légère. Non pas au sens de futile, mais au contraire profonde, aérienne, anticipatrice. Karen Blixen écrivit dans l'une de ses nombreuses lettres qu'aucune des viscissitudes qu'avait comporté son existence n'aurait pu l'empêcher d'être elle-même. Elle précisait qu'une seule chose aurait pu l'empêcher d'être elle-même, une chose que jamais elle n'aurait acceptée : le fait d'être grosse ! Cette petite bonne femme, à la vérité une véritablement grande dame, est morte le 7 septembre 1962 à Runnstedlund à l'âge de 77 ans (en ayant survécu pendant des décennies à la syphillis, grâce à sa robuste constitution). Le souvenir de celle que sa famille appelait Tanne ou Tania résonne et persiste chez Ticia née exactement deux mois après la date citée. Pour ceux ou celles à qui le nom de Karen Blixen n'évoquerait rien, il suffit de (re)voir Out Of Africa (film sorti en 1985) ou Le Festin de Babette (1987).
Ce dernier film en tant que superbe hommage à la cuisine, notre laisse deviner une Karen Blixen extrêmement gourmande. Mais gourmande de vie avant tout, d'une vie qu'elle a savouré jusqu'au dernier instant, avec une éthique morale exceptionnelle tant elle se détachait du colonialisme ambiant (voir le premier film).
Arrêtons de croire qu'il est "normal" de grossir en vieillissant. Notre (manque d') hygiène de vie fait que c'est hélas prévisible ... mais pas inévitable. Or, le regard que l'on porte sur soi influe bien plus qu'il n'y paraît sur notre destinée, notre devenir.
Photos de Ticia prises par elle-même le 12 mai 2011
